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edition:laforgue:000

Préface § comment

Je commence par déclarer à mon lecteur que, dans tout ce que j'ai fait de bon ou de mauvais durant tout le cours de ma vie, je suis sûr d'avoir mérité ou démé rité, et que par conséquent je dois me croire libre. La doctrine des stoïciens et de toute autre secte sur la force du destin est une chimère de l'imagination qui tient à l'athéisme. Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n'a jamais rien gâté.  comment

Je crois à l'existence d'un Dieu immatériel, auteur et maître de toutes les formes; et ce qui me prouve que je n'en ai jamais doute, c'est que j'ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par la prière dans mes détresses, et m'étant toujours trouvé exaucé. Le désespoir tue la prière le fait disparaître, et, quand l'homme a prié, il éprouve de la confiance et il agit. Quant aux moyens dont le souverain des êtres se sert pour détourner les malheurs imminents de ceux qui implorent son secours, cette connaissance est au-dessus du pouvoir de l'entendement de l'homme qui, dans le même instant où il contemple l'incompréhensibilité de la providence divine, se voit réduit à l'adorer. Notre ignorance devient notre seule ressource, et les vrais heureux sont ceux qui la chérissent. Il faut donc prier Dieu et croire avoir obtenu la grâce que nous lui avons demandée, même quand l'apparence nous montre le contraire. Pour ce qui est de la posture du corps dans laquelle il faut être quand on s'adresse au Créateur, un vers de Pétrarque nous l'indique  comment

Con le ginocchia della mente inchine. 1)  comment

L'homme est libre, mais il cesse de l'être, s'il ne croit pas à sa liberté; et plus il suppose de force au destin, plus il se prive de celle que Dieu lui a donnée en le douant de raison.  comment

La raison est une parcelle de la divinité du Créateur. Si nous nous en servons pour être humbles et justes, nous ne pouvons que plaire à celui qui nous en a fait don. Dieu ne cesse d'être Dieu que, pour ceux qui conçoivent sa non-existence possible et cette conception doit être pour eux la plus grande punition qu'ils puissent subir.  comment

Quoique l'homme soit libre, il ne faut cependant pas croire qu'il soit maître de faire tout ce qu'il veut; car il devient esclave lorsqu'il se laisse entraîner à agir lorsqu'une passion le domine. Celui qui a la force de suspendre ses démarches jusqu'au retour du calme est le vrai sage mais ces êtres sont rares.  comment

Le lecteur verra dans ces Mémoires que, n'ayant jamais visé à un point fixe, le seul système que j'aie eu, si toutefois c'en est un. fut celui de me laisser aller augré du vent qui me poussait. Que de vicissitudes dans cette indépendance de méthode Mes succès et mes revers. le bien et le mal que j'ai éprouvés. tout m'a démontré que dans ce monde, tant physique que moral, le bien sort toujours du mal comme le mal du bien. Mes égarements montrent aux penseurs les chemins contraires, ou leur apprendront le grand art de se tenir à cheval du fosset. II ne s'agit que d'avoir du courage, car la force sans la confiance ne sert à rien. J'ai vu très souvent le bonheur m'arriver àla suite d'une démarche imprudente qui aurait dû me mener au précipice; et, tout en me blâmant, je remerciais Dieu. J'ai aussi vu, par contre, un malheur accablant sortir d'une conduite mesurée et dictée par la sagesse. Cela m'humiliait; mais. sûr d'avoir eu raison, je m'en consolais facilement.  comment

Malgré le fonds de l'excellente morale, fruit nécessaire des divins principes enracinés dans mon coeur, j'ai été toute ma vie la victime de mes sens je me suis plu a m'égarer, j'ai continuellement vécu dans l'erreur, n'ayant d'autre consolation que celle de savoir que j'y étais. Ainsi j'espère, cher lecteur, que, bien loin de trouver dans mon histoire le caractère d'une impudente jactance, vous n'y trouverez que celui qui convient à une confession générale, sans que dans le style de mes narrations vous trouviez ni l'air d'un pénitent, ni la contrainte de quelqu'un qui rougit d'avouer ses fredaines. Ce sont des folies de jeunesse; vous verrez que j'en ris, et, si vous êtes bon, vous en rirez avec moi.  comment

Vous rirez lorsque vous verrez que souvent je ne me suis pas fait scrupule de tromper des étourdis, des fripons et des sots, quand j'ai été dans le besoin. Pour ce qui regarde les femmes, ce sont des tromperies réciproques qu'on ne met pas en ligne de compte, car, quand l'amour s'en mèle, on est ordinairement dupe de part et d'autre. Quant à l'article des sots, c'est une affaire bien différente. Je me félicite toujours quand je me rappelle d'en avoir fait tomber dans mes filets, car ils sont insolents et présomptueux jusqu'à défier l'esprit. On le venge quand on trompe un sot, et la victoire en vaut la peine, car un sot est cuirassé, et souvent on ne sait par où le prendre. Je crois enfin que tromper un sot est un exploit digne d'un homme d'esprit. Ce qui a mis dans mon sang, depuis que j'existe, une haine invincible contre l'engeance des sots, c'est que je me trouve sot moi-mêmetoutes les fois que je me vois dans leur société. Je suis loin de les confondre avec ces hommes qu'on nomme bêtes; car, ceux-ci n'étant tels que par défaut d'éducation, je les aime assez. J'en ai trouvé de fort honnêtes, et qui dans le caractère de leur bêtise ont une sorte d'esprit, un bon sens droit qui les éloigne fort du caractère des sots. Ce sont des yeux frappés de la cataracte, et qui sans cela seraient fort beaux.  comment

En examinant, mon cher lecteur, l'esprit de cette préface, vous devinerez facilement mon but. Je l'ai faite parce que je veux que vous me connaissiez avant de me lire. Ce n'est que dans un café et à table d'hôte qu'on s'entretient avec des inconnus.  comment

J'ai écrit mon histoire, et personne ne peut y trouver à redire mais fais-je bien de la donner au public que je ne connais qu'à son grand désavantage? Non, je sais que je fais une folie; mais, quand je sens le besoin de m'occnper et de rire, pourquoi m'abstiendrais-je de la faire?  comment

Expulit elleboro morbum bilemque meroco. 2)  comment

Un ancien nous dit d'un ton d'instituteur « Si tu n'as pas fait des choses dignes d'être écrites, écris au moins des choses dignes d'être lues. » C'est un précepte aussi beau qu'un diamant de première eau brillanté en Angleterre mais il ne m'est point applicable, car je n'écris ni un roman, ni l'histoire d'un personnage illustre. Digue ou indigne, ma vie est ma matière, et ma matière est ma vie. Ayant vécu sans jamais penser que l'envie pût un jour me venir de l'écrire, elle aura peut-être un caractère intéressant qu'elle n'aurait pas, sans doute, si j'avais vécu dans l'intention de l'écrire dans mes vieux ans et, qui plus est, de la publier.  comment

A l'âge de soixante-douze ans, en 1797, lorsque je puis dire vixi 3), quoique je vive encore, il me serait difficile de me créer un amusement pins agréable que celui de m'entretenir de mes propres affaires, et de fournir un beau sujet de rire à la bonne compagnie qui m'écoute, qui m'a toujours donné des preuves d'amitié et que j'ai toujours fréquentée. Pour bien écrire, je n'ai qu'à m'imaginer qu'elle me lira: Quæcunque dixi, si placuerint, dictavit auditor. 4) Quant aux profanes que je ne pourrai empècher de me lire, il me suffit de savoir que ce n'est point pour eux que j'écris.  comment

En me rappelant les plaisirs que j'ai eus, je les renouvelle, j'en jouis une seconde fois, et je ris des peines que j'ai endurées, et que je ne sens plus. Membre de l'univers, je parle à l'air, et je me figure rendre compte de ma gestion, comme un maître d'hôtel le rend à son maître avant de disparaître. Quant à mon avenir, je n'ai jamais voulu m'en inquiéter en qualité de philosophe, car je n'en sais rien et, en qualité de chrétien, la foi doit croire sans raisonner, et la plus pure garde un profond silence. Je sais que j'ai existé, car j'ai senti; et, le sentiment me donnant cette connaissance, je sais aussi que je n'existerai plus quand j'aurai cessé de sentir. S'il m'arrive de sentir encore après ma mort, je ne douterai plus de rien mais je donnerai un démenti à tous ceux qui viendront me dire que je suis mort.  comment

Mon histoire devant commencer par le fait le plus reculé que ma mémoire puisse me fournir, elle commencera a l'âge de huit ans et quatre mois. Avant cette époque, s'il est vrai que vivere cogitare est 5), je ne vivais pas encore, je végétais. La pensée de l'homme, ne consistant que dans les comparaisons faites pour examiner des rapports, ne peut pas précéder l'existence de la mémoire. L'organe qui lui est propre ne se développa dans ma tète que huit ans et quatre mois après ma naissance ce fut alors que mon âme commença à être susceptible d'impressions. Comment une substance imma- térielle qui ne peut nec tangere nec tangi 6), peut recevoir des impressions est une chose qu'il n'est pas donné à l'homme d'expliquer.  comment

Une philosophie consolante d'accord avec la religion prétend que la dépendance oit l'âme se trouve par rapport aux sens et aux organes n'est que fortuite et passagère, et qu'elle sera libre et heureuse quand la mort du corps l'aura affranchie de cette dépendance tyrannique. C'est fort beau; mais sans la religion, quelle assurance en aurions-nous? Ne pouvant donc, par mes propres lumières, me trouver dans la certitude parfaite d'être immortel qu'après avoir cessé de vivre, on me pardonnera de n'être pas pressé de parvenir à la connaissance de cette vérité car une connaissance qui coûte la vie me semble coûter trop cher. En attendant j'adore Dieu, m'interdisant toute action injuste, et j'abhorre les méchants, toutefois sans leur faire de mal. Il me suffit de m'abstenir de leur faire du bien, persuadé qu'il ne faut point nourrir les serpents.  comment

Obligé de dire aussi quelque chose sur mon tempérament et sur mon caractère, le plus indulgent entre mes lecteurs ne sera ni le moins honnête ni le plus dépourvu d'esprit.  comment

J'ai eu successivement tous les tempéraments le pituiteux dans mon enfance. le sanguin dans majeunesse, plus tard le bilieux, et j'ai enfin le mélancolique qui, probablement, ne me quittera plus. Conformant ma nourriture à ma constitution, j'ai toujours joui d'une bonne santé et ayant appris de bonne heure que ce qui l'altère est toujours l'excès, soit de nourriture, soit d'abstinence, je n'ai jamais eu d'autre médecin que moi-même, Je dois dire ici que j'ai trouvé l'excès en moins bien plus dangereux que l'excès en plus car, si ce dernier donne une indigestion, l'autre donne la mort. Aujourd'hui, vieux comme je le suis, j'ai besoin, malgré la honte de mon estomac, de ne faire qu'un repas par jour; mais ce qui me dédommage de cette privation est le doux sommeil, et la facilité avec laquelle je mets mes raisonnements par écrit sans avoir besoin de paradoxes ni de sophismes, plus faits pour me tromper moimême que mes lecteurs, car je ne pourrais jamais me déterminer à leur donner de la fausse monnaie, si je la reconnaissais pour telle.  comment

Le tempérament sanguin me rendit très sensible aux attraits de la volupté; j'étais toujours joyeux et toujours disposé de passer d'une jouissance àune jouissance nouvelle, en même temps que j'étais fort ingénieux à en inventer. C'est de là que me vint sans doute mon inclination à faire de nouvelles connaissances et ma grande facilité à les rompre, quoique toujours avec connaissance de cause et jamais par pure légèreté. Les défauts du tempérament sont incorrigibles, parce que le tempérament est indépendant de nos forces il n'en est pas de même du caractère. Ce qui constitue le caractère est l'esprit et le coeur; le tempérament n'y entre presque pour rien; aussi dépend-il de l'éducation, et par conséquent il est susceptible de correction et de réforme.  comment

Je laisse à d'autres à décider s'il est bon pu mauvais; mais, tel qu'il est, il se peint sur ma physionomie, et tout connaisseur peut facilement l'y saisir. Ce n'est que là que le caractère est un objet accessible à la vue; c'est là son siège. Observons que les hommes qui n'ont point de physionomie – et le nombre en est fort grand – n'ont pas non plus ce qu'on appelle un caractère; et tirons de là cette règle que la diversité des physionomies est égale à celles des caractères.  comment

Ayant reconnu que dans tout le cours de ma vie j'ai plus agi par l'impulsion du sentiment que par l'effet de mes réflexions, j'ai cru reconnaître que ma conduite a plus dépendu de mon caractère que de mon esprit, habituellement en guerre entre eux, et dans leurs chocs continuels je ne me suis jamais trouvé assez d'esprit pour mon caractère, ou assez de caractère pour mon esprit. Mais brisons là-dessus, car, s'il est vrai de dire Si brevis esse volo, obscurus fio 7), je crois que, sans blesser la modestie, je puis m'appliquer ces mots de mon cher Virgile  comment

Nec sumadeo informis nuper me in littore vidi
Cumplacidumventis staret mare. 8)  comment

Cultiver le plaisir des sens fut toujours ma principale affaire je n'en eus jamais de plus importante. Me sentant né pour le beau sexe, je l'ai toujours aimé et m'en suis fait aimer tant que j'ai pu. J'ai aussi aimé la bonne chère avec transport, et j'ai toujours été passionné pour tous les objets qui ont excité ma curiosité.  comment

J'ai eu des amis qui m'ont fait du bien, et le bonheur de pouvoir en toute occasion leur donner des preuves de ma reconnaissance. J'ai eu aussi de détestables ennemis qui m'ont persécuté, et que je n'ai pas exterminés parce qu'il n'a pas été en mon pouvoir de le faire. Je ne leur eusse jamais pardonné, si je n'eusse oublié le mal qu'ils m'ont fait. L'homme qui oublie une injure ne la pardonne pas. il l'oublie; car le pardon part d'un sentiment héroïque, d'un coeur noble, d'un esprit généreux, tandis que l'oubli vient d'une faiblesse de mémoire, ou d'une douce nonchalance, amie d'une âme pacifique, et souvent d'un besoin de calme et de tranquillité; car la haine, à la longue, tue le malheureux qui se plaît à la nourrir.  comment

Si l'on me nomme sensuel, on aura tort, car la force de mes sens ne m'a jamais fait négliger mes devoirs quand j'en ai eu. Par la même raison on n'aurait jamais dû traiter Homère d'Ivrogne: Laudibus arguitur vini vinosus Homerus. 9)  comment

J'ai aimé les mets au haut goût le pâté de macaroni fait par un bon cuisinier napolitain, l'ogliopotrida des Espagnols. la morue de Terre-Neuve bien gluante, le gibier au fumet qui confine et les fromages dont la perfection se manifeste quand les petits êtres qui s'y forment commencent à devenir visibles. Quant aux femmes, j'ai toujours trouvé suave l'odeur de celles que j'ai aimées.  comment

Quels goûts dépravés! dira-t-on: quelle honte de se les reconnaître et de ne pas en rougir! Cette critique me fait rire car, grâce à mes gros goûts, je me crois plus heureux qu'un autre, puisque je suis convaincu qu'ils me rendent susceptible de plus de plaisir. Heureux ceux qui, sans nuire à personne, savent s'en procurer, et insensés ceux qui s'imaginent que le Grand-Être puisse jouir des douleurs, des peines et des abstinences qu'ils lui offrent en sacrifice, et qu'il ne chérisse que les extravagants qui se les imposent. Dieu ne peut exiger de ses créatures que l'exercice des vertus dont il a placé le germe dans leur âme, et il ne nous a rien donné qu'à dessein de nous rendre heureux amour-propre, ambition d'éloges, sentiment d'émulation, force, courage, et un pouvoir dont rien ne peut nous priver c'est celui de nous tuer, si après un calcul, juste ou faux, nous avons le malheur d'y trouver notre compte. C'est la plus forte preuve de notre liberté morale que le sophisme a tant combattue. Cette faculté cependant est en horreur à toute la nature et c'est avec raison que toutes les religions doivent la proscrire.  comment

Un prétendu esprit fort me dit un jour que je ne pouvais me dire philosophe et admettre la révélation.  comment

Mais, si nous n'en doutons pas en physique, pourquoi ne l'admettrions- nous pas en matière de religion? Il ne s'agit que de la forme. L'esprit parle à l'esprit et non pas aux oreilles. Les principes de tout ce que nous savons ne peuvent qu'avoir été révélés à ceux qui nous les ont communiqués par le grand et suprême principe qui les contient tous. L'abeille qui fait sa ruche, l'hirondelle qui fait son nid, la fourmi qui construit sa cave et l'araignée qui ourdit sa toile, n'auraient jamais rien fait sans une révélation préalable et éternelle. Ou nous devons croire que la chose est ainsi, Quiconvenir que la matière pense. Mais, comme nous n'osons pas faire tant d'honneur à la matière, tenons nous-en à la révélation.  comment

Ce grand philosophe qui, après avoir étudié la nature, crut pouvoir chanter victoire en la reconnaissant pour Dieu, mourut trop tôt. S'il avait vécu quelque temps de plus, il serait allé beaucoup plus loin et son voyage. n'aurait pas été long car, se trouvant dans son auteur, il n'aurait plus pu le nier in co movemur et sumus 10). Il l'aurait trouvé inconcevable, et ne s'en serait plus inquiété. Dieu, grand principe de tous les principes et qui n'eut jamais de principe, pourrait-il lui même se concevoir, si pour cela il avait besoin de connaitre son propre principe ? 0 heureuse ignorance Spinosa, le vertueux Spinosa, mourut avant de parvenir à la posséder. Il serait mort savant et en droit de prétendre à la récompense de ses vertus, s'il avait supposé son âme immortelle.  comment

Il est faux qu'une prétention de récompense ne convienne pas à la véritable vertu et qu'elle porte atteinte à sa pureté; car, tout au contraire, elle sert à la soutenir, l'homme étant trop faible pour vouloir n'être vertueux que pour se plaire à lui seul. Je tiens pour fabuleux cet Amphiaraus qui vir bonus esse quam videri malebat 11). Je crois enfin qu'il n'y a point d'honnête homme au monde sans quelque prétention et je vais parler de la mienne.  comment

Je prétends à l'amitié, à l'estime et à la reconnais- sance de mes lecteurs à leur reconnaissance, si la lecture de mes Mémoires les instruit et leur fait plaisir; à leur estime, si, me rendant justice, ils me trouvent plus de qualités que de défauts, et à leur amitié dès qu'ils m'en auront trouvé digne par la franchise et la bonne foi avec lesquelles je me livre à leur jugement sans nul déguisement et tel que je suis.  comment

Ils trouveront que j'ai toujours aime la vérité avec tant de passion, que souvent j'ai commencé par mentir afin de parvenir à la faire entrer dans des tètes qui n'en connaissaient pas les charmes. Ils ne m'en voudront pas lorsqu'ils me verront vider la bourse de mes amis pour fournir à mes caprices, car ces amis avaient des projets chimériques, et en leuren faisant espérer la réussite j'espérais moi-même de les en guérir en les désabusant. Je les trompais pour les rendre sages, et je ne me croyais pas coupable, car je n'agissais point par esprit d'avarice. J'employais à payer mes plaisirs des sommes destinées à parvenir à des possessions que la nature rend impossibles. Je me croirais coupable, si aujourd'hui je me trouvais riche; mais je n'ai rien, j'ai tout jeté, et cela me console et nie justifie. C'était un argent destiné à des folies je n'en ai point détourné l'usage en le faisant servir aux miennes.  comment

Si, dans l'espoir que j'ai de plaire, je me trompais, j'avoue que j'en serais fâché, mais non pas assez pour me repentir d'avoir écrit, car rien ne pourra faire que je ne me sois amusé. Cruel ennui! ce ne peut être que par oubli que les auteurs des peines de l'enfer ne t'y ont point placé.  comment

Je dois avouer cependant que je ne puis'me défendre de la crainte des siftlets elle est trop naturelle pour que j'ose me vanter d'y ètre insensible; et je suis bien loin de me consoler par l'idée que lorsque ces Mémoires paraîtront j'aurai cessé de vivre. Je ne puis penser sans horreur à contracter quelque obligation avec la mort, que je déteste car. heureuse ou malheureuse, la vie est le seul bien que l'homme possède, et ceux qui ne l'aiment pas n'en sont pas dignes. Si on lui préfère l'honneur, c'est parce que l'infamie la flétrit; et si, dans l'alternative, il arrive parfois qu'on se tue, la philosophie doit se taire. O mort! cruelle mort! loi fatale que la nature doit réprouver, puisque tu ne tends qu'à sa destruction. Cicéron dit que la mort nous délivre des peines; mais ce grand philosophe enregistre la dépense sans tenir aucun compte de la recette. Je ne me souviens pas si, quand il écrivait ses Tusculanes, sa Tullie était morte. La mort est un monstre qui chasse du grand théâtre un spectateur attentif avant qu'une pièce qui l'intéresse infiniment soit finie. Cette raison doit suffire pour la faire détester.  comment

On ne trouvera pas dans ces Mémoires toutes mes aventures j'ai omis celles qui auraient pu déplaire aux personnes qui y eurent part. car elles y feraient mauvaise figure. Malgré maréserve, on ne me trouvera parfois que trop indiscret, et j'en suis fâché. Si avant ma mort je deviens sage et que j'en aie le temps, je brûlerai tout maintenant je n'en ai pas le courage.  comment

Si quelquefois on trouve que je peins certaines scènes amoureuses avec trop de détail, qu'on se garde de me blâmer, à moins qu'on ne me trouve un mauvais peintre, puisqu'on ne saurait faire un reproche à ma vieille âme de ne savoir plus jouir que par réminiscence. La vertu, au reste, pourra sauter tous les tableaux dont elle serait blessée c'est un avis que je crois devoir lui donner ici. Tant pis pour ceux qui ne liront pas ma préface! ce ne sera point ma faute, car chacun doit savoir qu'une préface est à un ouvrage ce que l'affiche est a une comédie on doit la lire. Je n'ai pas écrit ces Mémoires pour la jeunesse qui, pour se garantir des chutes, a besoin de la passer dans l'ignorance, maisbien pour ceux qui, à force d'avoir vécu, sont devenus inaccessihles à la séduction, et qui, a force d'avoir demeuré dans le feu, sont devenus salamandres. Les vraies vertus n'étant qu'habitude, j'ose dire que les vrais vertueux sont ceux qui les exercent sans se donner la moindre peine. Ces gens-là n'ont point l'idée de l'intolérance, et c'est pour eux que j'ai écrit. J'ai écrit en français et non en italien, parce que la langue française est plus répandue que la mienne, et les puristes qui me critiqueront pour trouver dans mon style des tournures de mon pays auront raison, si cela les empêche de metrouver clair. Les Grecsgoûtèrent Théophraste malgré ses phrases d'Erèse, et les Romains leur Tite-Live malgré sa patavinité. Si j'intéresse, je puis, ce me semble, aspirer à la même indulgence. Toute l'Italie, au reste, goûte Algarotti, quoique son style soit pétri de gallicismes.  comment

Une chose digne de remarque, c'est que de toutes les langues vivantes qui figurent dans la république des lettres, la langue française est la seule que ses présidents aient condamnée à ne pas s'enrichir aux dépens des autres, tandis que les autres, toutes plus riches qu'elle en fait de mots, la pillent, tant dans ses mots que dans ses tournures, .chaque fois qu'elles s'aperçoivent que par ces emprunts elles peuvent ajouter à leur beauté. Il faut dire aussi que ceux qui la mettent le plus à contribution sont les premiers à publier sa pauvreté, comme s'ils prétendaient par la justifier leurs déprédations. On dit que cette langue étant parvenue à posséder toutes les beautés dont elle est susceptible – et on est forcé de convenir qu'elles sont nombreuses – le moindre trait étranger l'enlaidirait; mais je crois pouvoir avancer que cette sentence a été prononcée avec prévention, car. quoique cette langue soit la plus claire, la plus logique de toutes, il serait téméraire d'affirmer qu'elle ne puisse point aller au delà de ce qu'elle est. On se souvient encore que du temps de Lulli toute la nation portait le même jugement sur sa musique Rameau vint et tout changea. Le nouvel élan que ce peuple a pris peut le conduire sur des voies non' encore aperçues, et de nouvelles beautés, de nouvelles perfections, peuvent naître de nouvelles combinaisons et de nouveaux besoins.  comment

La devise que j'ai adoptée justifie mes digressions et les commentaires que je fais, peut-être trop souvent, sur mes exploits en tous genres : Ne quidquam sapit qui sibi non sapit 12). Par la même raison, j'ai toujours en besoin de m'entendre louer en bonne compagnie :  comment

Excitatauditor studium, laudatarluevirtus
Crescit,et immensumgloria calcar habet. 13)  comment

J'aurais volontiers étale ici le fier axiome : Nemo læditur nisi a seipso 14), si je n'eusse craint de choquer le nombre immense de ceux qui, dans tout ce qui leur va de travers, ont l'habitude de s'écrier : Ce n'est pas ma faute, Il faut leur laisser cette petite consolation, car sans ce refuge ils finiraient par se haïr eux-mêmes, et la haine de soi mène souvent à l'idée funeste de se donner la mort.  comment

Pour ce qui me regarde, comme j'aime à me reconnaitre toujours pour la cause principale du bien ou du mal qui m'arrive. je me suis toujours vu avec plaisir en état d'être mon propre élève et en devoir d'aimer mon précepteur.  comment

1)
De l'âme et de l'esprit fléchissant les genoux.
2)
Il chasse avec l'ellébore épuré les maladies et la bile.
3)
J'ai vécu.
4)
Ce que je dis plaira, si les auditeurs le veulent.
5)
Vivre, c'est penser.
6)
Ni toucher ni être touchée.
7)
Si je veux être bref, je deviens obscur.
8)
Je ne suis pas si laid, si difforme ; je me suis vu dernièrement sur le rivage pendant que la mer était calme.
9)
C'était pour honorer ce poète divin (Homère) Qu'on l'accusa jadis de trop aimer le vin.
10)
Nous nous mouvons et nous existons en lui.
11)
Qui voulait être bon plutôt que le paraître.
12)
L'esprit n'est rien, quand on ne se comprend pas soi-même, –ou c'est ne connaître rien que ne pas se connaître soi-même.
13)
L'auditeur excite le zèle, la louange accroît la vertu, et la gloire est un puissant aiguillon.
14)
On est toujours l'artisan de son propre malheur.
edition/laforgue/000.txt · Last modified: 2011/08/08 20:24 by jellby